Les sciences du climat nous disent que nous devons décarboner l’économie mondiale d’ici au milieu du siècle pour éviter les pires conséquences climatiques.

Cette mise en garde des scientifiques et l’appel de l’Accord de Paris à « limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale bien au-dessous de 2 °C et à poursuivre les efforts pour limiter cette augmentation à 1,5 °C » ont conduit un grand nombre de pays à s’engager à atteindre un objectif de neutralité carbone vers le milieu du siècle. Ces engagements concernent environ deux tiers de l’économie mondiale; des centaines de villes, des dizaines d’États et de régions et des milliers d’entreprises dans la plupart des secteurs ont pris des engagements similaires.

L’Agence internationale de l’énergie a montré que pour atteindre cet objectif mondial de neutralité carbone, la priorité doit être accordée à l’abandon des énergies fossiles au profit de systèmes de chauffage et de transport électriques et efficaces énergétiquement.

Ce n’est pas un mince défi, mais si elle est bien mise en œuvre, la décarbonation peut créer des emplois, préparer durablement des secteurs industriels à l’avenir, améliorer la qualité de l’air et réduire les factures pour le public.

Des solutions innovantes comme l’hydrogène constituent une pièce importante de ce puzzle.

Cependant, la production d’hydrogène elle-même représente un problème de décarbonation important auquel nous commençons à peine à nous attaquer. La quasi-totalité de l’hydrogène aujourd’hui fabriquée dans le monde l’est en effet à partir de combustibles fossiles sans capture et séquestration de carbone (CSC). 

Une certaine confusion règne quant au type d’hydrogène à privilégier et aux secteurs d’utilisation finale. De nombreux gouvernements envisagent de généraliser l’utilisation de l’hydrogène dans des secteurs où des solutions moins coûteuses et plus efficaces existent déjà. Ceci, bien que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) reconnaisse que l’hydrogène représentera, au mieux, 2 % de la consommation totale d’énergie en 2050.

L’hydrogène produit quasiment sans émissions est certes essentiel, mais il n’est pas du tout efficace d’un point de vue énergétique et n’est pas encore disponible à grande échelle. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous attendre à ce que l’industrie de l’hydrogène ait une incidence significative sur les émissions ou les emplois au cours de la prochaine décennie. 

Le développement d’une économie de l’hydrogène représente une vision à long terme, mais les sciences du climat nous montrent que nous devons agir maintenant pour atteindre nos objectifs de neutralité carbone.

L’objectif de la Coalition Scientifique sur l’Hydrogène est d’apporter un point de vue fondé sur les faits dans le débat mondial sur le rôle de l’hydrogène dans la transition énergétique.

Nous sommes un groupe d’universitaires, de scientifiques et d’ingénieurs indépendants, spécialistes de l’hydrogène dans les secteurs de la production, du transport et des utilisations finales potentielles. Nous voulons nous assurer que les décisions stratégiques en matière d’hydrogène reflètent la manière la plus efficace de progresser vers la neutralité carbone d’ici 2050.

C’est dans cet esprit que nous défendons cinq principes directeurs sur le rôle de l’hydrogène dans la transition énergétique :

L'hydrogène sans émission est une opportunité pour les gouvernements de faire avancer la transition énergétique. Cependant, le seul hydrogène à émissions quasi nulles est celui qui est produit à partir d'électricité renouvelable.

Les gouvernements doivent donner la priorité au soutien de l’hydrogène à émissions quasi nulles afin de s’aligner sur nos objectifs climatiques. Le seul hydrogène qui réponde à cette norme aujourd’hui est l’hydrogène renouvelable – également connu sous le nom d’hydrogène vert – qui est fabriqué à partir d’énergies renouvelables supplémentaires telles que l’énergie éolienne et solaire.

L’hydrogène n’aura pas l’impact nécessaire sur le climat s’il sert de prétexte pour continuer à brûler des combustibles fossiles qui augmentent les émissions. L’hydrogène fossile avec CSC, également appelé hydrogène bleu, qui est produit en brûlant du gaz naturel et en essayant de capturer les émissions de carbone avec le CSC, doit être abordé avec prudence. En effet, le CSC est toujours partiel, les émissions fugitives de méthane pendant la production et le transport sont importantes et le risque d’enfermement dans les combustibles fossiles est bien réel.

Diverses études récentes mettent en évidence le manque de compréhension des effets de l’hydrogène bleu sur le climat. Dans le pire des cas, ses émissions pourraient être encore pires que la simple combustion de combustibles fossiles, et dans le meilleur des cas, il s’agit d’un moyen très coûteux de limiter les émissions de gaz à effet de serre provenant de la production nécessaire d’hydrogène.

Nous ne pouvons donc pas supposer que l’hydrogène produit à partir de combustibles fossiles et du CSC sera par défaut à faible taux d’émissions. L’évaluation et l’atténuation des émissions du cycle de vie de l’hydrogène fossile avec CSC est une question complexe qui pourrait prendre de nombreuses années, alors que nous savons que nous devons investir dans des solutions de décarbonisation dès aujourd’hui.

On parle également de l’hydrogène fabriqué à partir de matières plastiques comme d’une solution viable à émissions quasi nulles. Nous pensons que c’est faux. Les plastiques sont presque tous d’origine fossile, ce qui signifie qu’il y a par défaut des émissions de CO2 au cours du cycle de vie.

Il faut déployer l’hydrogène renouvelable dans les secteurs difficiles à décarboner, en commençant par les secteurs où l’hydrogène fossile est utilisé actuellement.

L’hydrogène offre l’opportunité de décarboner les secteurs de l’économie mondiale qui ne disposent pas de solutions d’électrification, créant ainsi des emplois et une voie de décarbonation structurelle à long terme.

Les premiers secteurs à cibler doivent être ceux où l’hydrogène fossile est utilisé à l’heure actuelle. L’hydrogène fossile est produit à partir de gaz naturel et de charbon depuis des décennies, mais contrairement à l’hydrogène fossile avec CSC, les émissions de CO2 ne sont pas capturées, même partiellement. L’hydrogène fossile actuellement utilisé dans les secteurs de la chimie et des engrais représente environ 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ce qui n’est pas loin de la quantité générée par l’aviation.

L’hydrogène (sous forme de gaz de synthèse) est déjà utilisé pour réduire le minerai de fer en fer métallique. La première production d’acier non fossile à partir d’hydrogène renouvelable a déjà eu lieu en Suède. Le développement de l’hydrogène renouvelable pour produire de l’acier pourrait marquer l’émergence d’un secteur sidérurgique plus compétitif et plus durable.

Il est à noter que l’hydrogène est également un vecteur possible pour le stockage de l’énergie, mais il n’en est qu’un parmi d’autres. Bien que le coût du stockage de l’hydrogène puisse être faible et techniquement réalisable, les pertes liées à la transformation de l’énergie et le coût élevé découlant de l’utilisation intermittente des équipements font du stockage d’énergie à base d’hydrogène une solution coûteuse par rapport à d’autres. L’hydrogène pour le stockage ne devrait être utilisé qu’en dernier recours, lorsqu’il n’existe pas d’autre solution, et après la décarbonation de la production d’hydrogène fossile actuelle.

L’hydrogène ne devrait pas être utilisé pour retarder le déploiement des solutions d’électrification et d’efficacité énergétique actuelles, notamment dans le chauffage et les transports.

L’hydrogène ne représente pas la meilleure solution s’il est plus risqué, plus coûteux ou s’il génère plus d’émissions que les alternatives disponibles, telles que les solutions d’électrification ou d’efficacité énergétique dans des secteurs comme le chauffage et le transport terrestre.

La recherche montre que c’est le cas lorsque l’on envisage d’utiliser de l’hydrogène pour chauffer des bâtiments ou pour alimenter des transports terrestres. La production d’hydrogène utilise de grandes quantités d’énergie, ce qui en fait une solution extrêmement inefficace et constitue un défaut fondamental si on la compare à d’autres solutions d’électrification. 

Le chauffage de bâtiments à l’aide de chaudières consommant de l’hydrogène renouvelable nécessite ainsi environ six fois plus d’électricité que les pompes à chaleur électriques pour un même résultat. De même, il faut environ trois fois plus d’électricité pour alimenter un camion ou un bus fonctionnant avec une pile à hydrogène que pour un véhicule fonctionnant avec une batterie.

Si des solutions d’hydrogène économiquement abordables sont finalement développées pour ces secteurs, cela ne devrait pas se faire au détriment du déploiement de solutions éprouvées dont savons qu’elles fonctionnent déjà aujourd’hui. 

L’hydrogène est également considéré comme une solution pour produire des carburants de synthèse. Cependant, la conversion de l’hydrogène en carburants de synthèse ne fait que réduire l’efficacité et augmente encore davantage le coût par unité d’énergie. Les carburants de synthèse représentent un moyen de contourner les difficultés pratiques liées à l’utilisation de l’hydrogène en raison de sa faible densité. Néanmoins, ceux-ci ne devraient être utilisés que lorsqu’il n’existe pas d’autres solutions efficaces, comme l’électrification de l’aviation de courte distance.

Se concentrer sur les mauvais secteurs pour l’hydrogène serait une erreur coûteuse qui peut être évitée à l’aide d’autres solutions accessibles et moins chères. Le fait d’accorder la priorité à l’électrification, à l’efficacité énergétique et à l’hydrogène renouvelable pour les industries lourdes permettra de créer des emplois dans les économies en transition.

Compte tenu de la valeur de l’hydrogène renouvelable, il n’est pas judicieux de le mélanger au réseau de gaz naturel existant en raison de l’incidence limitée qu’aurait cette démarche sur la réduction des émissions.

Il est généralement admis que les infrastructures actuelles de transport du gaz naturel peuvent supporter un maximum de 20 % d’hydrogène sans nécessiter de mise à niveau coûteuses. La plupart des gazoducs n’acceptent pas l’hydrogène pur, et tous les appareils des utilisateurs finaux, tels que les chaudières ou les cuisinières à gaz, devraient être remplacés pour fonctionner à l’hydrogène pur.

Des études montrent également que le mélange de 20 % d’hydrogène renouvelable dans les gazoducs existants permettrait seulement de réduire les émissions de carbone d’environ 7 %, en plus d’augmenter les coûts pour les consommateurs. Le mélange d’hydrogène et de gaz naturel réduit la teneur en énergie, ce qui signifie qu’une plus grande quantité du mélange est nécessaire pour fournir la même quantité d’énergie au consommateur final. 

En outre, la sécurité de l’hydrogène dans les environnements domestiques est questionnable lorsque l’hydrogène est brûlé dans une cuisinière ou une chaudière à gaz. Des recherches récentes suggèrent en outre que le mélange d’hydrogène dans le réseau de gaz augmente les émissions polluantes d’oxydes d’azote (NOx), qui sont associées à un risque plus élevé de maladies respiratoires, par rapport à la combustion pure et simple du gaz naturel. 

Avant de mélanger notre précieux hydrogène renouvelable au réseau de gaz naturel, la priorité doit être accordée aux domaines dans lesquels nous pouvons obtenir des réductions d’émissions significatives et immédiates – par exemple le remplacement de l’hydrogène fossile polluant, comme indiqué dans notre deuxième principe.

 

Accorder la priorité à la production et à la consommation d’hydrogène produit localement, afin d’éviter de gaspiller une énergie renouvelable précieuse.

Nous conseillons d’accorder la priorité à l’électrification directe, à l’efficacité énergétique et, si nécessaire, à l’hydrogène produit localement avant de s’appuyer sur l’importation d’hydrogène pour faire avancer la transition énergétique. Les produits fabriqués localement avec de l’hydrogène, puis exportés – comme l’acier fabriqué à partir d’hydrogène renouvelable – sont également une meilleure option que l’exportation directe d’hydrogène ou de dérivés de l’hydrogène. Les pays devraient tenter de décarboner leurs propres industries d’hydrogène fossile existantes avant d’envisager l’exportation d’hydrogène.

Le transport d’hydrogène à grande échelle n’est pas encore une réalité, et la science indique qu’il serait non seulement coûteux, mais aussi extrêmement inefficace, sur de longues distances. Cela entraînerait également d’importantes pertes d’énergie tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Le simple fait de liquéfier l’hydrogène pour le transport consomme 30 % de l’énergie contenue dans l’hydrogène. Le transport de l’hydrogène entraîne par ailleurs des pertes quotidiennes attribuables à l’évaporation. Si cet hydrogène est ensuite utilisé pour produire de l’électricité à sa destination finale, il ne reste, au mieux, que 23 % de l’énergie d’origine à la fin du processus.

Les autres options d’exportation d’hydrogène présentent également leur lot de défis. Par exemple, le remplacement de tous les combustibles fossiles exportés par bateau (pétrole, gaz, charbon) par le transport à grande échelle d’ammoniac renouvelable (produit à partir d’hydrogène renouvelable) augmenterait considérablement le risque de fuites d’ammoniac dans l’environnement. L’ammoniac est très toxique, ce qui fragilise les arguments en faveur de l’exportation d’hydrogène. Nous devons accorder la priorité aux solutions plus sûres qui existent à l’échelle locale. Veuillez noter que nous n’avons pas de position sur l’ammoniac en tant que carburant pour les navires, compte tenu de la complexité des options de décarbonation du transport maritime. Des recherches supplémentaires sont nécessaires sur ce sujet.

Enfin, l’hydrogène est une molécule plus petite que les molécules de gaz naturel, ce qui signifie qu’il est encore plus susceptible de fuir des gazoducs. Des recherches récentes ont montré que lorsque l’hydrogène est rejeté ou s’échappe dans l’atmosphère, son potentiel de réchauffement de la planète à court terme est nettement plus élevé qu’on ne le pensait auparavant. Il faut comprendre les conséquences climatiques des fuites d’hydrogène des gazoducs et des véhicules de transport avant de prendre un engagement à grande échelle pour transporter de l’hydrogène de cette manière.

En conclusion, nous encourageons les gouvernements à consulter des experts indépendants à propos du développement du secteur de l’hydrogène, et non pas seulement les industriels de l’énergie qui pourraient tirer profit de ces politiques.

Un plan d’action climatique efficace ne se limite plus à la construction rapide d’éoliennes et à l’élimination progressive des centrales au charbon. Il s’agit de déployer toutes les solutions dont nous disposons dans les bons secteurs, en veillant à exploiter toute l’expertise accessible pour orienter ces décisions.

Une stratégie sur l’hydrogène mûrement réfléchie est un élément clé de ce plan d’action climatique.